Y croire, encore et toujours!

U Castagnu Foyer rural

Dans toute entreprise collective soucieuse de la préservation des savoirs faire et des savoirs être, demeure toujours la même incertitude : celle de la réussite et des possibles et celle de l’échec et du renoncement. Telle est A Fiera di Bucugnanu qui, vaille que vaille, s’engage pour une rénovation complète et durable de la châtaigneraie, et par-delà, s’implique pour une revitalisation de l’espace montagnard corse

Sans doute y avons-nous trop cru… ou peut-être pas assez ! Trop cru que ce mouvement de renouveau en profondeur, porté par l’air du temps des années 70 nous mènerait vers de nouveaux horizons et des lendemains plus chantant … Trop cru, avec l’enthousiasme d’une jeunesse rebelle, que nous secourions une société amorphe, entrée en léthargie profonde et mortifère. C’était ainsi, pensions-nous, que l’ancien monde devait finir, agonisant… Et que le nouveau, celui d’une Corse souriante, ouverte vers l’extérieur, mais revivifiée à l’intérieur, solide sur ses bases régénérées d’une langue enfin vivante et reconnue et d’une culture millénaire en pleine réinvention, pourrait enfin s’épanouir et s’affirmer dans la nécessaire transmission générationnelle des savoirs faire et des savoirs être. Sans doute y avons-nous trop cru…
Et pourtant l’idée était belle, et l’est-elle encore aujourd’hui, malgré l’émergence d’un autre monde, celui de la globalisation effrénée et dévastatrice, qui annihile les particularismes, excite les individualismes et uniformise les pratiques consuméristes.
Même si notre foire, au succès toujours renouvelé et à l’aura encore intacte, demeure un point de rencontre privilégié et le lieu incontournable de partages d’expériences de vie et d’envie, la situation générale de la Corse ne cesse de nous interpeler et nous fait craindre à terme un délitement inexorable de notre société montagnarde et de tout un pan socio-culturel et économique de notre vieux pays. Oui, notre île est un vieux pays ! Oui notre terre est une vieille terre avec une nature aux atours séculaires, que les cataclysmes naturels et les fléaux humains érodent tous les jours un peu plus, sans laisser l’espoir d’une régénérescence ou d’une renaissance prochaine. Nous pensions béatement que malgré les aléas climatiques modifiés et perturbateurs, les pressions immobilières irraisonnées et vénales, les parasites destructeurs et leurs corollaires d’anéantissement progressifs, notre nature multimillénaire surmonterait toutes ces embûches et tous ces déboires pour triompher encore une fois de l’abandon et du délaissement… "Diu hà fattu è pò farà !"

Y croire, encore et toujours!
Nous y avons cru ! Mais nous avons oublié un paramètre important dans ce panégyrique de mauvaises fortunes et de désolations… Comment reconstruire du neuf avec du vieux ? Là a été notre erreur… Même si "A Fiera di a Castagna" fut, et demeure encore et toujours ce lieu incontournable où se rencontrent les savoirs faire d’un pays, tout en se confrontant à la versatilité du temps présent, même si les filières agricoles savent nous devoir une fière chandelle pour leur avoir indiqué la voie à suivre pour cette nécessaire régénérescence montagnarde, et même si tout n’est jamais parfait et nous en sommes conscients, nous nous devons humblement de faire amende honorable et avouer notre échec, tout relatif certes, mais échec tout de même ! Nous n’avons pas assez cru que cette reconstruction, ce " riacquistu" socio-économique et culturel ne pouvait décemment pas se bâtir sur un terroir millénaire à l’abandon et livré aux modifications climatiques et invasions parasitaires, ainsi qu’à l’incurie gestionnelle…

Il n’est que de relire l’histoire de la Corse dans sa période génoise, qui bien que de sinistre mémoire a laissé durablement dans notre patrimoine une trace indélébile, mais aussi une source d’inspiration pour le futur, pour comprendre que même au sein des tourments les plus noirs, des actions d’envergure peuvent permettre de modifier en profondeur le destin des hommes. Nous voulons parler ici de l’épisode de première importance de la "Coltivazione" initiée en 1637. Cet épisode est celui de l’introduction "forcée" et programmée d’arbres fruitiers sur l’ensemble du territoire de notre île, dans le but "humaniste" de pourvoir à la survie des populations touchées par la famine, mais aussi, et surtout, dans un but purement lucratif et spéculatif au profit de Gênes elle-même. Et c’est de là que viennent nos "richesses" arboricoles, châtaigniers, oliviers, noisetiers, amandiers et pommiers. C’était il y a 5 siècles ! È oghji ?

Aujourd’hui, l’idée maîtresse que nous désirons porter pour les années à venir c’est celle d’une indispensable et vitale mise en place d’une "Cultivazioni Nova" à grande échelle, par la production (telle que nous l’avons initiée avec la Pépinière de Castellucciu) et la diffusion de plans d’arbres fruitiers locaux afin de nous prémunir, autant que faire se peut, de toute attaque parasitaire exogène, et de redynamiser et relancer les filières arboricoles et fruitières sur tout le territoire insulaire. L’idée n’est sans doute pas neuve, mais elle peut et doit devenir déterminante pour la survie d’une économie, mais aussi l’indispensable préservation de nos savoir-faire et savoirs-être !

Privilégier le renouvellement des vergers, mettre en œuvre la multiplication des circuits courts dans le cadre d’un développement durable maîtrisé, sont sans doute aucun les seuls moyens qui permettront à notre agriculture, et à notre territoire également, de retrouver allant et vigueur et de redevenir les ferments et les soutiens d’un "riacquistu novu" réfléchi et harmonieux.

Le but originel de "A Fiera di a Castagna", celui de soutenir et d’accompagner une profession, celle de castanéiculteur, évolue aujourd’hui vers une prise en compte de tous les acteurs de l’économie de montagne, afin d’insuffler une dynamique nouvelle à cette recherche d’une excellence productive et porteuse de ressources nouvelles pour nos territoires en danger d’abandon et d’oubli. Nous avions négligé la base même de notre existence, pensant que le temps ferait office de remède, afin de guérir toutes les plaies touchant notre châtaigneraie… Cruelle méprise qui a failli nous couper de nos racines ! Dès cette année nous nous engageons, et pour un terme long bien entendu, à relancer la castanéiculture, à lui redonner la place prépondérante qu’elle n’aurait jamais dû quitter dans nos préoccupations et cela malgré la pénurie de fruits toujours effective et pénalisante, mais aussi et surtout en nous impliquant encore plus avant dans cet indispensable renouvellement des vergers, évoqués plus haut. Nous voulons de nouveau être les pionniers d’une agriculture moderne, fière de son terroir, mais garante d’une certaine idée de la tradition en mouvement : celle qui vit, avance et construit, et refuse d’abdiquer face à tous les consumérismes et toutes les standardisations. Nous voulons encore et toujours résister !

Et à cela nous y croyons réellement : "Résister, c’est créer !"


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